Quand :
4 mai 2019 @ 9 h 00 – 17 h 00
2019-05-04T09:00:00+02:00
2019-05-04T17:00:00+02:00
Où :
Centre Interdisciplinaire d'Études des Religions et de la Laïcité)
17 av. F. Roosevelt - 1050 Ixelles
Contact :
Christian Fierens

Critique(s) du réalisme

Un prérequis pour la psychanalyse

Nous ne disposons jamais d’une réalité qui soit indépendante de ce que nous imaginons, de ce que nous savons, de ce que nous croyons et de ce que nous refoulons. Pourtant tout le monde y croit : il devrait y avoir, en fin de compte ou au début de toute l’histoire, une réalité fondatrice première ou ultime, une réalité absolue. Cette foi en un réalisme premier a pour premier effet de dispenser de penser, mais elle permet aussi, sur cette base première et illusoire, de trouver suffisamment d’assurance pour oser, faire, agir ou peut-être même la remettre en question.

À partir d’un tel réalisme, nous pouvons faire « comme si » : comme si la personne que nous traitons correspondait parfaitement à un diagnostic bien connu, comme si ce que nous avons constitué en objet à cette fin était là, disponible et immuable, avant même que nous nous en approchions. Mais c’est là court-circuiter la complexité première de notre expérience de la personne et de l’objet en général.

Dès sa naissance, la psychanalyse a pris ses distances par rapport à ce réalisme de fond, illusoire et en même temps impossible à éliminer. Freud a pu croire au réalisme absolu de traumas qui expliqueraient toute la psychopathologie (ce qu’il appelait ses « neurotica »). Il s’en est vite détaché pour donner toute sa place au questionnement du rêve, des formations de l’inconscient et du psychisme en général. La « réalité psychique » joue ainsi comme un oxymore qui nous oblige à revenir toujours à nouveau à la fois sur le « réalisme » qui nous colle à la peau et sur le « psychique » qui inlassablement est là pour remettre en question ce réalisme.

Aujourd’hui, la science dans sa marche triomphale et spectaculaire nous fait croire qu’elle peut expliquer l’homme à lui-même et le rendre aussi efficace et performant qu’une machine et que les choses sont telles qu’elles apparaissent au regard scientifique. Pourtant, Kant déjà nous avait mis en garde, réfutant l’illusion que l’on puisse réifier, quantifier ou « physicaliser » un jour la dimension spirituelle de l’être humain. Peine perdue : aujourd’hui, l’on s’appuie subrepticement sur la science – en fait, sur du scientisme – pour justifier un tel réalisme absolu prometteur de beaux jours. Il faut aborder sérieusement la science pour découvrir qu’elle n’est nullement fondée sur le réalisme de son objet, mais bien plutôt sur une idéalité́ productrice de pensée, qui ne peut avancer qu’en se remettant constamment en question, pour construire sainement son objet.

Telle est la condition sine qua non de toute psychanalyse et de toute activité de la pensée en tant qu’elle produit du sens.

Christian FIERENS